Conversion de François Coillard, missionnaire au Zambèze.


Un appel à la conversion

Notre bon pasteur, M. Guiral, visita Foëcy. De grand matin j'étais dans sa chambre, lui ouvrant mon cœur. J'étais malheureux. Les intentions de ma protectrice étaient bonnes, mais la discipline était rude et sévère; je travaillais comme un esclave et n'avais jamais un moment à moi; car, même les jours de pluie, il y avait des graines à écosser, des paillassons à fabriquer et que sais-je? M. Guiral m'avertit que, mon instruction religieuse étant terminée, je ferais à Pentecôte ma première communion et que, pour cette occasion-là, il obtiendrait que mes maîtres me laissassent aller à Asnières, Je bondis de joie à la pensée de revoir ma bonne mère.

Vers ce temps-là, une grande dame, Mme André-Walther, arriva de Paris. Elle était la mère de la baronne de N. Elle avait avec elle une autre fille qu'on appelait Mlle Gabrielle et qui, comme Mlle Isabelle, paraissait très bonne et très aimable. Un jour, cette grande dame et Mlle Gabrielle étaient assises sur le perron. Je passai, la dame m'appela, me fit asseoir et commença à me parler de ma mère, et à me faire toutes sortes de questions sur la manière dont j'employais mon temps. Elle me dit qu'elle avait appris que je devais faire ma première communion et elle voulait savoir si j'étais converti.
Elle ajouta que sa fille aussi, Mlle Gabrielle, allait faire sa première communion, mais qu'elle était convertie; cela ne m'étonnait pas, car on disait beaucoup de bien d'elle. C'était la première fois que quelqu'un me parlait avec bonté de ma mère, depuis que j'étais à Foëcy. C'était aussi la première fois que quelqu'un me parlait de mon âme. Cette conversation me fit une impression profonde et qui ne s'est jamais .effacée. J'étais attendri, je pleurais. C'était si étrange que quelqu'un s'occupât de moi, de moi qui étais aux ordres de tout le monde!

Converti! Cette parole tomba dans mon cœur comme un charbon de feu. Converti! Je connaissais bien le mot, mais pas la chose. Cet appel si maternel ravivait les impressions que j'avais reçues lors de la mort de ma petite nièce Charlotte. Mais je ne sentais pas la nécessité de ce qu'on appelait la conversion. J'étais plein de ma propre justice. J'aimais jusqu'à un certain point les choses de Dieu. C'est vrai que je ne lisais pas assidûment ma Bible, elle n'avait pas d'attrait pour moi, elle m'était ennuyeuse. Mais, d'un autre côté, j'étais un bon protestant, je tenais à bien remplir mes devoirs religieux, je n'aurais pas manqué un culte pour je ne sais quoi; j'aimais les cantiques, et j'allais, quand je le pouvais, chanter avec ma nièce Françoise en souvenir de Mlle Bost.

Mon sang huguenot se révoltait contre les insultes et les sarcasmes du jardinier et des ouvriers catholiques, et je ripostais avec sérieux et conviction. J'étais fier non seulement d'être un protestant mais surtout un huguenot, descendant de huguenots, et je sentais que, moi aussi, comme eux, j'aurais pu mourir pour ma foi, la foi même que j'avais.

Converti! c'était le jardinier et sa femme qui avaient besoin de l'être. Mais pour moi, dont la conduite était irréprochable, si bien que je n'étais jamais grondé, quelle nécessité y avait-il d'une conversion? Pouvais-je devenir meilleur et faire mieux? Je ne possédais pas, dans ce centre industriel, un seul ami, je ne connaissais pas un seul garçon de mon age, je ne frayais avec personne; les jeux et les fêtes mondaines ne m'attiraient pas du tout, Et pourtant cette dame insistait pour que je me convertisse!

C'est dans ces dispositions que je retournai à mon village. Mes maîtres avaient compté mes jours. Comme je ne gagnais rien, ma bonne mère et mes sœurs mirent ensemble leurs sous pour m'acheter un habillement neuf pour l'occasion. Je comparus avec les autres catéchumènes devant le conseil presbytéral. Je fus reçu avec satisfaction. Hélas cela m'ancra plus profondément encore dans la propre justice. Je me disais tout naturellement: Si tout le monde est si satisfait de moi, ceux qui me connaissent, mes maîtres, le pasteur et même le conseil de l'Église, pourquoi le bon Dieu ne le serait-il pas aussi? Je l'étais bien moi, satisfait de moi-même, il ne me manquait rien. La première communion était pour moi un brevet de religion. De fait, j'avais bien mérité de Dieu et. des hommes.
Malheureusement cette idée ne m'était pas particulière. La première communion est souvent la porte par laquelle un jeune homme, une jeune fille, sort de l'Église pour faire son entrée dans le monde. De là, ces sermons de circonstance, si sérieux, si solennels: les adieux d'un pasteur à ses catéchumènes ! Quant à moi, mes devoirs religieux étant remplis, Il ne fut plus question d'aucune instruction religieuse en dehors des cultes qui se célébraient, de loin en 1oin, quand le pasteur venait d'Asnières...

Certaines influences ne contribuèrent pas à adoucir les orages qui grondaient en moi toujours plus fort. Un jour, je n'y tins plus, et j'écrivis à M. Louis André, à Paris, sur un ton qui, je suppose, n'était pas convenable, puisque la réponse me donnait mon congé immédiat et me lançait dans le monde, le vaste monde. Le jardinier jubilait, il ne me donna pas un jour de grâce. Je fis mon petit paquet et partis. Mais où aller?

La bonne vieille dame Pillivuyt, émue de pitié, me reçut chez elle, en attendant qu'elle pût me trouver une place. Ma pauvre mère accourut d'Asnières pour se rendre compte de la situation. Elle me gronda. Elle réprouva mon orgueil: « Voilà, dit-elle, cette bonne dame t'aurait protégé, mon petit. » Mais, quand je l'assurai qu'on ne voulait faire de moi rien autre chose qu'un jardinier, elle se consola: « Ce n'est pas pour cela que je t'ai élevé, mon enfant. Le bon Dieu ne t'abandonnera pas. » Et moi aussi, j'avais instinctivement cette assurance. La chose la plus naturelle eût été de retourner à Asnières, de travailler à la terre et de cultiver nos vignes; mais ma bonne mère n'en voulait pas entendre parler. J'étais trop jeune, je n'étais pas fort, elle conservait toujours l'espoir qu'une providence protectrice sauverait encore mon avenir et réaliserait les rêves qu'elle entretenait: « Le bon Dieu t'aidera, mon enfant, tu deviendras pasteur et tu seras mon bâton de vieillesse! » Pour le moment, la perspective n'était rien moins que brillante.

(A cette époque, un nouvel appel à cette conversion qu'il ne comprenait pas et dont il ne ressentait pas le besoin, se fit entendre à Coillard: le 30 avril 1850, il perdit une sœur, Françoise, née en 1826 et mariée à Louis Dautry.) Quelques années après Il écrivait:
« Jamais mort ne me fit plus d'impression que celle d'une soeur que j'aimais tendrement et âgée seulement de quelques années de plus que moi. Jusqu'à ce jour son souvenir me remplit d'émotion. Le Seigneur se servi de sa dernière et longue maladie pour l'amener à Sa connaissance, et il me semble encore la voir sur son lit de mort, me remettre sa Bible et me conjurer les larmes aux yeux de me donner au Seigneur. »
Plus tard, je passait voir le pasteur qui avait procédé à l'enterrement. Il me consola affectueusement en me lisant quelques passage de cette Bible et pria avec moi. Je ne sortis pas de cette chambre transformé et me réjouissant de la joie de mon salut. Hélas, non! Mais la tendresse de cet homme de Dieu m'avait pénétré et touché. Je me disais: Il doit savoir, lui, que je suis mauvais, hypocrite et cependant, il me témoigne tant d'affection et tant de sympathie dans ma tristesse. Dieu serait-il plus dur que lui?
Une fois la glace brisée, je pris souvent encore le chemin du cabinet de mon vénéré directeur. Il m'avait empoigné le cœur par sa bonté paternelle je buvais, comme à longs traits, ses exhortations.

Mais ma grande difficulté était que j'aurais voulu savoir ce que c'est que croire. Enfin, je compris que c'était accepter le salut aux conditions de Dieu, c'est-à-dire sans condition aucune. Je puis bien le dire, des écailles me tombèrent des yeux. Et quelles écailles! Je pouvais dire: «  J'étais aveugle et maintenant je vois. » Je n'oublierai jamais le jour, non, le moment où ce trait de lumière traversa la nuit de mon angoisse. C'était à déjeuner.

Croire, c'est donc accepter et accepter sans réserve. « A tous ceux qui l'ont reçu, il leur a donné le droit d'être faits enfants de Dieu. » C'est évident, c'est positif. Ô mon Dieu, m'écriais-je dans le fond de mon cœur, je crois!... Et instantanément., ce fut comme si une voix, entendue de moi seul, me disait, avec une force et une suavité indescriptibles: «  Mon fils, va en paix, tes péchés te sont pardonnés! » J'eus comme une vision, je laissai tomber couteau et fourchette de mes mains et je fus complètement absent pendant le reste du déjeuner. Une paix, une joie que je n'avais jamais connues, se répandirent dans mon âme et l'inondèrent. J'aurais voulu chanter de joie. En sortant du réfectoire, je courus au cabinet de mon père spirituel et déversai dans son sein la surabondance de ma joie et de mon bonheur. M. Jaquet vint, nous tombâmes à genoux, ils louèrent Dieu pour moi, je le louai avec eux.

Réveil.

Dès lors, plus de contrainte dans nos rapports. Ils m'aimaient déjà comme un fils, je sentis bien que j'avais trouvé en eux un père et une mère, et je leur vouai toute l'affection dont j'étais capable.

Je n'étais pas le seul dans cet état d'âme. Un jour que je montais au galetas, j'entendis quelqu'un pleurer et prier. Un autre jour je rencontrais un autre élève. Une autre fois, c'était un de nos sous-maîtres. Nous nous comprîmes, bientôt, sans beaucoup de paroles. Quand nous nous rencontrions: « Eh bien? » disait l'un à l'autre. Un branlement de tête négatif et un regard de noire tristesse, c'était toute la réponse. Mais ce jour-là, le sous-maître et moi, nous nous serrions la main avec effusion et, pour la première fois, nous nous mettions à genoux ensemble pour louer Dieu, dans ce grenier où, tant de jours durant, nous avions pleuré et gémi individuellement et secrètement. Nos amis, eux, trouvèrent aussi la paix, et se joignirent à nous. Et ce galetas, témoin de tant d'angoisses et de larmes, retentit dès lors, pendant les récréations, des accents de notre joie et de nos louanges. Nous y lisions-la parole de Dieu ensemble, nous nous y communiquions nos expériences.

Lors même que l'esprit général de la maison fût bon, et tout imprégné de l'ardente piété de ses directeurs, la plupart des jeunes gens n'étaient pas encore convertis. Nous sentîmes donc le besoin de nous « séparer» en bien des choses, ce qui provoqua une grande opposition.

«  Tiens, disait-on, Coillard est devenu mômier! A bas les mômiers »

Les. premières fois que, dans le dortoir, avant que les lumières fussent éteintes, nous nous mîmes a genoux pour prier, les oreillers nous plurent dessus, et on nous criait: « A bas les mômiers ! » Au lieu de nous en plaindre, nous nous engageâmes devant Dieu à veiller sur nous-mêmes et à veiller les uns sur les autres, pour que, dans notre conduite et dans nos paroles, nous ne donnions aucune prise à ceux de nos condisciples qui n'étaient pas sérieux.

Et c'est étonnant avec quelle fidélité nous tenions nos engagements, et combien de fois nous avons été reconnaissants pour une parole ou un simple regard à propos. Sans le savoir, nous avions ainsi posé les bases d'une vraie Union chrétienne de jeunes gens, institution dont nous ignorions alors complètement l'existence. Nous apprîmes bientôt qu'il existait une Union de ce genre à Paris et quelques autres en France, mais surtout en Suisse. Peu à peu, par divers intermédiaires, nous nous mimes en rapport avec certains centres.

C'est surtout dans l'institut et dans les villages avoisinants que notre activité se développa. Quand nos coudisciples virent que nous étions sérieux et sincères, ils devinrent sérieux à leur tour. Ce fut un vrai réveil. Quel beau temps ! quelles douces réunions 1 Les « amis », les habitués de la maison qui vivaient dans les environs, nous invitaient souvent, et nous allions, deux à deux ou à trois, et nous avions alors une petite rèunion intime. Notre sous-maître, avec qui, bien qu'il fût plus âgé que moi, je m'étais intimement lié, portait la Parole, et je trouvais qu'il parlait admirablement. Moi, j'étais trop timide pour me lancer ainsi; je parlais avec les frères de Blamont, les sœurs d'Abbévillers que j'accompagnais souvent le dimanche, quand, après le culte, ils retournaient chez eux. 

La piété de ces bonnes gens était , simple, mais pleine de suavité et de fraicheur. Je n'avais pas la prétention de leur faire du bien, mais j'en recevais d'eux et abondamment. Ce fut aussi notre privilège, le mien surtout, d'accompagner M. Jaquet dans ses courses privées. Oh ! que j'étais heureux alors avec lui ! Malgré cette timidité innée qui, toute ma vie, a été contre moi, je pouvais lui parler à cœur ouvert, car il semblait si bien me comprendre.

Un jour, nous visitâmes un certain village. « Nous allons voir frère un tel, me dit-il; c'est un enfant de Dieu, très vivant.» Nous entrons, le brave homme travaillait à creuser des sabots.

«  Eh bonjour! frère! »

« Bonjour, M. Jaquet ! »

Et les deux amis, sur le pied de la plus parfaite égalité, de se prendre les mains. Le sabotier était rayonnant, tout exubérant de joie. Puis, les premières effusions passées, il se tourne vers moi, me fixe de ses yeux perçants:

«  Et celui-ci, dit-il, est-ce un enfant de Dieu? »

Je regardai M. Jaquet qui me regardait en souriant, mais me laissait évidemment le soin de répondre à une question aussi directe. Je rougis, je tremblai d'émotion, et je répondis à demi-voix:

« Oui, je suis un enfant de Dieu, je crois, par sa grâce. »

« Dieu soit béni, » s'écria-t..il ! et, me saisissant des deux mains, il m'embrassa en disant: « Vous êtes donc un frère, mon frère. »

Il me reste de très doux souvenirs de ce temps de ma jeunesse. Quelle vie, quelle fraîcheur il y avait parmi les enfants de ce réveil qui, comme une ondée du ciel, avait passé sur la principauté de Montbéliard ! Jamais ils ne se visitaient sans méditer la Parole, chanter des cantiques et prier. Ce milieu m'était sympathique; je respirais à pleins poumons dans cette atmosphère si élevée et si pure. Partout où nous allions, on chantait des cantiques manuscrits qui, copiés et recopiés, passaient de main en main. J'étais émerveillé de la manière dont ces braves paysans les exécutaient entre eux, à quatre parties.

Extrait du livre « François Coillard, missionnaire au Zambèze » 1913 Paris. édition des missions évangéliques

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